Communication pour la "nouvelle normalité"

Communication pour la "nouvelle normalité"
Amérique latine et Caraïbes

par Carlos Ayala Ramírez (1)

Article N ° 132 du magazine Meeting Point

 

Nouvelle réalité normale ou nouvelle?

Nous avons souvent entendu qu’après la pandémie, nous devons nous préparer à la «nouvelle normalité». Ce terme est ambigu car il suppose qu'avant la pandémie il y avait une situation «normale» et qu'après la pandémie, les nouvelles conditions nécessiteraient une nouvelle normalité. Mais qu'est-ce qui est normal? Le système économique, social et politique est-il d’où nous venons et d’où nous sommes maintenant normaux? Les multiples formes d'injustice sont-elles normales, nourries par un modèle économique basé sur le profit, qui n'hésite pas à exploiter, rejeter et même tuer les êtres humains? Est-il normal qu'une partie de l'humanité vive dans l'opulence, tandis qu'une autre partie voit sa dignité inconnue, méprisée ou bafouée et ses droits fondamentaux ignorés ou violés? Credit: Normal Internet est-il un monde où les migrants ne sont pas considérés comme suffisamment dignes pour participer à la vie sociale comme les autres? Le pape François a exprimé ses inquiétudes sur ce qui pourrait arriver après la crise. Il exprime que la pire réaction serait de sombrer davantage dans une fièvre de consommation et de nouvelles formes d'autoconservation égoïste. Et il révèle quatre vœux profonds pour contrer ces tendances: «Espérons qu'à la fin il n'y ait plus les« autres », mais seulement un« nous ». Espérons que ce n'est pas un autre épisode grave de l'histoire dont nous n'avons pas pu tirer les leçons. N'oublions pas les personnes âgées décédées par manque de respirateurs, en partie à cause du démantèlement des systèmes de santé année après année. J'espère que tant de douleur n'est pas inutile, que nous faisons un saut vers un nouveau mode de vie et découvrons enfin que nous avons besoin et que nous nous devons les uns aux autres, pour que l'humanité renaisse avec tous les visages, toutes les mains et toutes les voix , au-delà des frontières que nous avons créées ». Dans ce sens, il a souligné que "ce n'est pas le moment de l'indifférence", car le monde entier souffre et doit être uni pour faire face à la pandémie. "Ce n'est pas le temps de l'égoïsme", car le défi auquel nous sommes confrontés nous unit tous et ne fait pas acception de personnes. "Ce n'est pas le moment de continuer à fabriquer et à vendre des armes", dépensant de grosses sommes d'argent qui pourraient être utilisées pour prendre soin des gens et sauver des vies. «Ce n'est pas le moment de s'oublier», espère-t-il que la crise à laquelle nous sommes confrontés ne nous fera pas mettre de côté tant d'autres situations d'urgence qui entraînent avec elles la souffrance de nombreuses personnes. Par conséquent, pour le Pape François, la «normalité» ne sera pas la simple continuation du passé, ni l'annulation de ce moment difficile, mais plutôt une mise en jeu de toutes nos ressources et de notre créativité pour transformer le présent en lien d'une nouvelle opportunité. Pour réaliser ce changement, le pape prône une organisation sociale basée sur "contribuer, partager et distribuer avec tendresse, non posséder, exclure et accumuler". Des systèmes d'organisation sociale doivent être conçus dans lesquels la participation, l'attention et la générosité sont récompensées, au lieu de l'indifférence, de l'exploitation et des intérêts privés. Dans ce cadre, le Pape considère que «les médias peuvent nous aider à nous sentir plus proches les uns des autres, à percevoir un sentiment renouvelé d'unité de la famille humaine qui nous encourage à la solidarité et à un engagement sérieux pour une vie plus digne pour tous ». La parabole du bon Samaritain est aussi une parabole du communicateur.Pour le Pape, la miséricorde des Samaritains ne se réduit pas à un simple sentiment d'empathie, elle inclut aussi une action pour soulager la souffrance de l'autre et le risque de partager son destin. L'encyclique [Fratelli tutti] , à la suite de l'histoire de l'évangéliste Luc, synthétise la réaction du Samaritain comme suit: il sympathise, s'approche, panse le blessé, le monte sur son propre cheval, l'emmène à l'auberge et prend soin de lui. Tout un parcours sur ce que signifie la proximité, ce que signifie être «humain», ce que signifie être frère.

Maintenant, comment la valeur de la «proximité» s'exprime-t-elle dans l'utilisation des médias et dans le nouvel environnement créé par le numérique? Le Pape découvre une réponse dans cette parabole du Bon Samaritain qui, à son avis, est aussi une parabole du communicateur, car celui qui communique devient voisin, devient proche. De plus, le Bon Samaritain non seulement s'approche, mais prend en charge l'homme à moitié mort qu'il rencontre sur le bord de la route. Jésus inverse la perspective: il ne s'agit pas de reconnaître l'autre comme mon semblable, mais de pouvoir me rendre semblable à l'autre. Par conséquent, du point de vue de la «proximité», communiquer signifie prendre conscience que nous sommes humains. Au contraire, lorsque l'objectif principal de la communication est d'induire la consommation ou la manipulation des personnes, nous sommes confrontés à une agression violente comme celle subie par l'homme de la parabole: battu et abandonné par des bandits. La parabole du Bon Samaritain devient alors une parabole du communicateur lorsque, selon le Pape, la communication devient «huile parfumée pour la douleur et vin nouveau pour la joie». Quand la "luminosité ne vient pas de trucs ou d'effets spéciaux, mais d'approcher, avec amour et tendresse, que l'on retrouve blessé en chemin". En ce sens, on peut parler de la révolution des médias et de l'information comme un grand défi qui requiert une énergie renouvelée et une nouvelle imagination. Dans ce sens, il est mentionné que «Internet peut offrir de plus grandes opportunités de rencontre et de solidarité entre tous». Mais pour cela, il ne suffit pas de parcourir les «rues» numériques, c'est-à-dire simplement d'être connecté. Il faut que la connexion soit accompagnée d'une vraie rencontre. Le pape souligne que le monde des médias ne peut ignorer le souci de l'humanité, mais est appelé à exprimer sa solidarité. Par conséquent, le réseau numérique peut être un lieu riche en humanité: non pas un réseau de câbles, mais de personnes. «Isolement, non; proximité, oui. Culture de confrontation, non; culture de la rencontre, oui "

 

Vers une nouvelle réalité: l'apport des médias sociaux Plutôt que de parler d'une «nouvelle normalité», le pape François soulève la nécessité de construire une «nouvelle réalité». Il a insisté sur le fait que pour sortir de la pandémie, il est non seulement nécessaire de trouver un remède contre Covid-19, mais aussi contre les grands virus humains et socio-économiques. Dans ce sens, il proclame qu '"il est temps d'éliminer les inégalités, de réparer l'injustice qui porte atteinte à la santé de toute l'humanité". Il explique que le simple fait de revenir à ce qui a été fait avant la pandémie peut sembler le choix le plus évident et le plus pratique; «Mais pourquoi ne pas passer à quelque chose de mieux? Pourquoi réinvestir dans les énergies fossiles, les monocultures et la destruction de la forêt tropicale, quand on sait que cela aggrave notre crise environnementale? Pourquoi reprendre l'industrie de l'armement, avec son terrible gaspillage de ressources et sa destruction inutile? Ce sont des questions proactives de changement qui nécessitent des réponses responsables. Pour le Pape François, nous ne pouvons pas nous permettre d'écrire l'histoire présente et future dos à la souffrance de tant de gens. D'où ses nouvelles questions qui représentent de réels défis et qui ne permettent pas de détours: pourrons-nous agir de manière responsable face à la faim dont souffrent tant de gens, sachant qu'il y a de la nourriture pour tout le monde? Allons-nous continuer à détourner le regard avec un silence complice avant ces guerres alimentées par des désirs de domination et de pouvoir? Serons-nous prêts à changer les modes de vie qui plongent tant de personnes dans la pauvreté, en nous encourageant et en nous encourageant à mener une vie plus austère et humaine qui permette une répartition équitable des ressources? En tant que communauté internationale, prendrons-nous les mesures nécessaires pour enrayer la dévastation de l’environnement ou continuerons-nous de nier les preuves? Il est donc temps de nous mettre au travail de toute urgence pour concevoir et générer des systèmes d'organisation sociale inclusifs qui permettent une vie abondante. C'est ce que le Pape appelle une «société juste et bienveillante». Les médias sociaux peuvent et doivent contribuer à cet objectif. C'est ce que le pape a déclaré dans ses différents messages sur les journées mondiales des communications sociales. Il y expose des formes spécifiques et décisives de cette contribution: possibilité de communiquer à proximité; utiliser le pouvoir de la communication au service de la rencontre et de l'inclusion; communiquer l'espoir et la confiance et face à la prolifération des fausses nouvelles, cultiver la vérité. Bref, mettez la fonction sociale des médias à produire. Voyons quelques hypothèses et arguments de cette approche

 

Face à ce que le Pape appelle les «péchés des médias», c'est-à-dire la désinformation (manipuler les informations), la calomnie (raconter des mensonges en toute impunité), la diffamation (violer le droit à une bonne image) et la coprophilie (l'amour au scandale, à la morbidité), trois exigences éthiques sont proclamées: aimer la vérité, mettre la communication au service de la rencontre et assurer le respect de la dignité humaine. Cet amour de la vérité n'a pas un sens abstrait, mais un sens très concret. La vérité, pour le Pape, «c'est raconter aux familles déchirées par le chagrin ce qui est arrivé à leurs proches disparus. Il est vrai d'avouer ce qui est arrivé aux mineurs recrutés par les acteurs violents. La vérité reconnaît la douleur des femmes victimes de violence et d'abus. […] Toute violence commise contre un être humain est une blessure dans la chair de l'humanité; toute mort violente nous diminue en tant que personnes. […] violence engendre la violence, la haine engendre plus de haine et la mort plus la mort. Il faut briser cette chaîne présentée comme incontournable ». Pour sa part, utiliser le pouvoir de la communication au service de la rencontre et de l'inclusion, c'est prendre au sérieux les besoins, les angoisses et les espoirs de l'autre. Positionnez-le comme référence et lumière de communication. Et l'une des conditions fondamentales pour que cela soit le cas est l'examen critique du langage utilisé pour communiquer la réalité, qui finit souvent par la dissimuler ou la déformer, selon qu'elle favorise son propre intérêt ou son idéologie. La troisième exigence pour une communication qui respecte et favorise la valeur de la dignité humaine a à voir avec la récupération de la mémoire historique. Face à une culture de la fugacité et de l'oubli, Francisco exhorte à ne pas tomber dans la tentation de «tourner la page». Dans l'encyclique Fratelli tutti (n.249), le Pape affirme: «on n'avance jamais sans mémoire, on ne peut évoluer sans mémoire intégrale et lumineuse»; «Nous devons maintenir vivante la flamme de la conscience collective, témoigner aux générations futures de l'horreur de ce qui s'est passé»; [hay] "éveiller et préserver la mémoire des victimes, pour que la conscience humaine se renforce de plus en plus contre tout désir de domination et de destruction"; [hay] souvenir de ceux qui «au milieu d'un contexte empoisonné et corrompu ont pu retrouver leur dignité et par des gestes petits ou grands, ils ont opté pour la solidarité, le pardon et la fraternité». Concernant les médias numériques, le Pape fait un bilan critique: ils peuvent renforcer la fraternité et la solidarité ou ils peuvent les entraver. Ils peuvent l'empêcher «s'ils deviennent un moyen d'éviter l'écoute, de s'isoler de la présence des autres, de saturer tout moment de silence et d'attente, en oubliant que le silence fait partie intégrante de la communication». En revanche, ils peuvent la favoriser quand «ils aident à partager, à rester en contact avec ceux qui sont loin, à rendre la rencontre encore et encore possible». Lorsqu'il parle des ombres qui caractérisent ce monde, il associe la communication numérique à ces ombres. Surtout, «quand il devient une sorte de spectacle que l'on peut espionner, regarder, et que la vie est exposée à un contrôle constant […] Chaque individu est« l'objet de regards qui piquent, dénudent et dévoilent, souvent de manière anonyme . Le respect de l'autre est brisé ». Pour cette raison, il est affirmé que la communication numérique actuelle "ne suffit pas à construire des ponts, elle ne suffit pas à unir l'humanité". En somme, la proposition du Pape François pointe vers un style de communication ouvert et créatif qui favorise la construction d'une nouvelle réalité; qu'il ne donne pas toute la place au mal, mais qu'il essaie de montrer des solutions possibles, en favorisant une attitude active et responsable chez les personnes à qui il s'adresse ». Cela implique d'introduire une nouvelle perspective dans l'approche de la réalité communiquée: «proposer aux hommes et aux femmes de notre temps des récits marqués par la logique de la« bonne nouvelle », c'est-à-dire« une communication constructive qui, rejetant les préjugés contre pour d'autres, favoriser une culture de la rencontre qui aide à regarder la réalité avec une confiance authentique ».

1 Professeur à l'Institut hispanique de l'École jésuite de théologie (Université de Santa Clara, Californie). Professeur à la retraite de l'UCA El Salvador; ancien directeur d'Ysuca.